Après la tragédie terroriste qui a décimé la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo, une profonde tristesse m’a envahi. Et je n’étais pas le seul, à en voir l’élan de solidarité et de consternation qui a submergé le pays en quelques heures à peine.
Les citoyens, les citoyens seulement.
Il n’a pas fallu attendre longtemps ce mercredi pour voir des dizaines de milliers de citoyens, sans qu’interviennent ni des syndicats, ni des associations, ni des partis politiques, se mobilisent pour exprimer leur colère d’avoir vu des terroristes s’en prendre au bien sacré que constitue la liberté dans notre pays. Seuls, les citoyens se sont exprimés. Seul, le peuple s’est emparé de la réaction.
Par la suite, les élus s’en sont mêlés. On ne sait par quelle idée saugrenue les partis de gauche, PS le premier, se sont mis en tête d’organiser une manifestation d’organisations politiques sur invitation. Sur invitation ! La pagaille a rapidement suivi, les questions portant sur qui avait le droit de manifester, et qui n’avait pas le droit. Afin de faire cesser la polémique, le gouvernement a eu la bonne idée de trancher en prenant en charge l’organisation de cette manifestation et en la transformant en marche républicaine ouverte à tous.
Un pas en avant, trois pas en arrière.
Mais comme souvent avec Hollande, la bonne idée a très rapidement été mal appliquée, se transformant en fausse bonne idée. En voulant inviter tout le monde, Hollande est allé trop loin : parmi les dirigeants étrangers qui fouleront le sol parisien il y aura des ennemis de la liberté d’expression, de la liberté de revendication et de la liberté de la presse. Entre les représentants du Maroc qui font taire des caricaturistes, ceux de la Turquie qui mettent des journalistes en prison, ceux de l’Espagne qui musellent leurs opposants, ceux du Royaume-Uni qui votent des lois liberticides, ou ceux d’Israël qui brisent tout un peuple, la coupe est pleine. Manquent plus que Bachar El-Assad et Kim Jong-un pour parfaire le tableau ! Et comme si l’enjeu pour Hollande était son propre succès, celui-ci bat le rappel de cette manifestation d’État de manière un peu trop envahissante.
La relativité générale appliquée à l’indignation
En fin de compte, le peuple était en train de trouver seul la solution à cette histoire avant que l’ensemble de la classe politique, indécente, tente de mettre la main sur le mouvement à son avantage comme des gamins se disputant un bonbon volé.
Alors, pour quel motif allons-nous défiler dimanche ? Que signifie « Je suis Charlie » ? Chacun peut y apporter son sens, voire porter le slogan sans trop y réfléchir, dans un mouvement de communion nationale dont ce pays au bord de la crise de nerfs a bien besoin. Car, dès que vient le moment de la réflexion, les questions qui se posent en apportent une multitude d’autres, très compliquées à appréhender.
Non, dire « Je suis Charlie » n’est pas si anodin que ça. Ceux qui se trouvent gênés, choqués voire carrément opposés aux idées développées durant des années par ce journal satirique se voient reprocher leurs hésitations au nom de l’intérêt supérieur de la liberté de la presse. Mais auriez-vous affiché ostensiblement des panneaux « Je suis Minute » si ce journal d’extrême droite avait été attaqué de la même façon ? La question mérite d’être posée.
De la même façon, pour quoi manifester ? Certains FN, gênés aux entournures, rechignent à y participer malgré l’insistance de leur guide suprême. Ces gens là, que Charlie combattait encore plus que l’islamisme radical, n’ont évidemment pas leur place dans un défilé hommage à Charlie contre les extrémismes. Alors, pour trouver le plus petit dénominateur commun à cet amas difforme que l’on appelle « Unité nationale », la notion fourre-tout de « lutte contre le terrorisme » aura été préférée, permettant d’y coller toute une flopée de gens peu recommandables aux projets dégoulinants de haine. L’objectif de Hollande est sain : transformer l’émotion en sommet international contre le terrorisme. Mais c’est hors sujet.
Charlie trahi
Je ne pourrai jamais dire « Je suis Minute » ou « Je suis Éric Zemmour » s’il leur arrivait quelque chose. Mais je peux dire « Je suis Charlie » car je partage la plupart de leurs revendications. Je suis en outre extrêmement attristé de la perte que constitue la disparition de Cabu et Charb. Si je devais défiler, je le ferais pour la liberté d’expression, contre l’extrémisme et les privations de liberté, qu’elles soient de source gouvernementale ou religieuse. Mais je ne peux pas m’associer à ce défilé officiel qui pourra servir le discours de n’importe quel politicien malintentionné.
L’unité nationale est un bel idéal, mais c’est une utopie. Non, je ne me sens pas proche des terroristes (qui faisaient partie de la nation), je ne me sens pas non plus proche de ces extrémistes qui veulent aujourd’hui profiter de ce drame pour réaliser leurs fantasmes autoritaires et morbides, ni de ces dirigeants du monde qui restreignent les libertés chaque jour.
Chacun sa manif
Alors la solution réside peut-être dans une absence de réflexion, en laissant parler son instinct. Se laisser porter par l’enthousiasme de tout un peuple qui oubliera qu’il défilera à côté de ses ennemis, pour laisser le souvenir que ces derniers jours furent inadmissibles. Chacun a sa raison de défiler, et chacun donnera un sens à son acte. Les ennemis de la liberté seront peut-être eux-aussi présents, mais pour une fois, ils ne serviront pas leur cause.
Je suis Charlie.
4 Responses to “Je suis Charlie”
11 janvier 2015
Félinehttp://www.les-crises.fr/indecense-rendons-hommage-a-charlie/
11 janvier 2015
JiBéJe pense qu’il s’agit simplement d’exprimer son indignation à l’égard d’une boucherie, sa gratitude à ceux qui ont conduit les opérations d’assaut, sa fraternité aux familles des personnalités et surtout, des inconnus ont aussi perdu la vie sous le feu de ces trois tarés. Pour ce qu’il en est de la brochette de chefs d’états attendus à Paris, il y a évidemment le calcul d’une classe politique pathétique, gauche et droite confondues, qui cherche à rehausser son image aux yeux de l’opinion internationale. Je pense que plus que jamais, il y a dichotomie entre ce que veulent exprimer les « vraies gens » qui descendent aujourd’hui dans la rue, et ce que les politiciens font de cette tragédie.
11 janvier 2015
AlexLe dénominateur commun est qu’on n’extermine pas les gens à la kalach, c’est tout. Si la rédaction de Minute avait été exterminée, j’aurais marché, sans de « Je suis Minute » qui n’aurait aucun sens pour moi mais aucun slogan n’est imposé il me semble ?
Le coup de vilains politiques qui « récupère » commence aussi a sérieusement me gaver, personne n’a la même analyse sur pourquoi ça c’est passé et qu’est ce qu’il faudrait faire, et ça, cette différence analyse, ce débat qui en découle, ça s’appelle « la politique ». Je me demande quand, dans l’histoire de l’humanité, ce mot: « politique » est devenu une sorte de chose visqueuse et dégoutante.
12 janvier 2015
gillesriPour ma part, estimant également que nous étions un peu instrumentalisé sous le coup de l’émotion, je n’ai pas voulu dire « je suis Charlie » mais j’ai participé à la marche (ou plutôt le surplace de 13h à 15h30 puis heureusement, on a fini par bouger) sous cette forme :
https://www.facebook.com/photo.php?fbid=1043905585636207&set=a.201754073184700.60631.100000503251013&type=1&theater
J’aurai du ajouter je suis laïcité car c’est ce qu défend notamment le journal Charlie Hebdo.
En tout cas, malgré la tristesse, je suis rassuré de voir l’attachement que nous avons aux valeurs de liberté et notre compassion pour ceux qui sont victimes de la barbarie de décérébrés sous l’emprise de Gourous.