Pour changer de la routine en cet été 2013, j’ai invité plusieurs belles plumes, blogueurs, twittos, à contribuer à ce blog en écrivant un billet de 365 mots. Les retours ont été très positifs, au-delà de mes espérances. C’est donc avec plaisir que je vous invite à les découvrir, chaque mercredi en juillet et en août.
Pour cette seconde contribution à la rubrique « Invités sur 365 mots », je vous présente Sandra. Elle a 16 ans, sûrement bachelière à l’heure où vous lisez cet article. Adepte de la procrastination, elle est passionnée de tout et de rien mais surtout de tout. Elle a grandi entourée de musiciens et a comme objectif de lire toujours plus de livres que l’année précédente. Elle déteste les adolescents, boit trop. De thé. Elle est une écolo convaincue mais elle prend encore des bains. Elle pourrait se nourrir uniquement de fromage de chèvre. Elle préfère les gens entiers qu’en petits morceaux. Elle fait aussi de jolies photos.
Sandra : ma première manifestation
Je me souviens de ma première manifestation. J’avais cinq ans, six mois et quatre jours. Le 22 avril 2002, sur les épaules de mon père, je suis descendue dans la rue pour « combattre le racisme ». Je me souviens des avenues de Poitiers, ville de gauche, pleines à craquer. Je me souviens des « Votez le plus à gauche, même si c’est à droite » que je n’ai compris que bien après et d’autres slogans que j’ai chantés durant des semaines à en épuiser mes parents. Oui, je me souviens des visages indignés mais plus particulièrement de la tristesse pesante qui régnait.
Je garde un souvenir amer de cette période. Je me souviens, j’étais en CP, mon maître en avait profité pour nous parler du racisme. J’aimais beaucoup mon maître, je l’avais croisé à la manifestation.
Je me souviens aussi de ce garçon dont j’étais amoureuse et que j’avais embrassé pour la première fois à la récréation, qui s’était levé et avait proclamé avec une assurance qui me fait trembler encore aujourd’hui « les étrangers doivent retourner dans leur pays ! ».
Je me souviens du silence terrible qui avait envahi la pièce mais ce dont je me souviens encore plus ce sont les larmes de ma meilleure copine, comorienne d’origine et du déchirement que j’ai ressenti dans mon cœur tout neuf.
Je me souviens que mon amoureux avait tenté un « mais toi c’est pas pareil, t’es gentille ! » tandis que mon amie pleurait de plus belle dans mes bras. À cet instant, je m’étais sentie terriblement honteuse d’avoir pu échanger un baiser avec un garçon aussi stupide.
Je me souviendrai toujours de ce jour là, les larmes de ma copine comorienne, l’aplomb idiot de mon imbécile d’amoureux et mon impuissance de petite fille devant cette scène que je comprenais à peine.
Le petit goût sucré de l’enfance s’évaporait et je découvrais la saveur âcre de l’injustice.
Et puis la vie avait repris son cours… Manger, aller à l’école, manger, dormir. On ne parlait plus de politique à l’école ; je sentais que ma copine était sortie endurcie de cette épreuve mais quelque chose dans son regard s’était éteint. Était-ce le prix à payer ?
Quant au garçon que je n’avais même pas eu le courage de larguer, il m’avait lâchée pour une autre qui lui avait donné un chewing gum à la menthe.
Ça non plus je ne l’oublierai jamais.
1 réponse to “L’invitée de la semaine : Sandra / Ma première manifestation”
11 juillet 2013
herveLEBeau témoignage, comme quoi on est souvent étonné des propos parfois méchants que les enfants s’adressent sans retenue, sans se préocupper du mal qu’ils peuvent faire à autrui. Ils ne s’en rendront compte que plus tard, quand ils développeront « l’empathie ».
Concernant la manifestation, avec le recul, il est toujours intéressant d’etre confronté avec ce contre quoi on manifeste… sinon il n’y a pas d’échange et personne ne fait de pas vers l’autre.