Notre inconnue du jour s’appelle Mireille. Mirelle est le type d’inconnue que vous voyez tous les jours, que vous saluez avec un sourire – si vous êtes quelqu’un d’urbain, sinon vous l’ignorez – et qui, de par son travail, vous soulage de vos détritus. En effet, Mireille est la dame qui vide la corbeille de votre bureau, et de tous les bureaux de votre étage, chaque soir à 18h30.
Mireille sourit rarement : elle passe de salle en salle, en frappant à la porte si celle-ci est fermée, en s’excusant du dérangement, et, quelques fois, en demandant où est la corbeille si vous l’avez négligemment cachée sous votre bureau. Alors elle entre, vous fait vous pousser, prend la corbeille, mélange consciencieusement les « papiers / recyclage » et les « autres déchets » que vous avez, non moins consciencieusement, trié conformément aux consignes de la direction. « De toute façon, les éboueurs, ils mélangent tout, alors ne vous embêtez pas pour le tri » vous répondra Mireille si vous lui faites remarquer son forfait.
Mireille n’existe pour vous que de 18h30 à 18h35. En dehors de son passage dans votre bureau, vous ne voyez jamais Mireille. A-t-elle des enfants ? Est-elle mariée ? Habite-t-elle en banlieue, a-t-elle à subir deux heures de transport comme beaucoup de Franciliennes payées au SMIC ? Que fait-elle lorsqu’elle n’est pas dans votre bureau, c’est-à-dire les vingt-trois heures cinquante-cinq par jour où vous ne la voyez pas ? Et puis, bon sang ! vous ne connaissez même pas le prénom de Mireille. Tout au plus, si vous avez levé les yeux vers sa tête, vous souvenez-vous de sa coupe de cheveux, de la couleur de ses yeux fatigués, de la couleur de ses cheveux à la teinture bon marché.
Une fois sa besogne terminée, Mireille disparaît de votre champ de vision. Elle sort du champ de votre vie. Tout au plus, entendez-vous encore pendant deux à trois bureaux Mireille en train de frapper à la porte de vos voisins pour s’excuser de bien vouloir les décharger de leurs détritus. Petit-à-petit, le son de ses pas devient de plus en plus ténu, jusqu’à ce que vous replongiez dans votre travail, oubliant Mireille, jusqu’au lendemain.
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