Il y a deux ans, sur ce même blog, j’avais fait un historique de la dette publique et du déficit en France. Voici ce même historique, revu, corrigé et mis à jour avec les dernières données disponibles, et rassemblé dans un seul et même billet sous forme de Grand Format.
La sagesse populaire accuse souvent la gauche de proposer des politiques dispendieuses et d’accorder à la droite au moins le mérite de faire attention aux comptes publics. Cette idée est encore forte dans l’esprit des gens alors même qu’aujourd’hui, c’est un gouvernement de droite qui a enregistré le plus important déficit de toute l’après guerre. Alors que l’Union européenne vient de publier des prévisions qui mettent à mal la politique de désendettement de François Hollande, voyons comment a évolué la dette en France depuis le choc pétrolier.
1978 – 1993 : et la gauche invente la politique de dette publique
Est-ce que cette idée reçue est fondée ? Il faut en effet souligner que la première politique de dette publique est mise en place lors de l’élection de François Mitterrand en 1981 par Pierre Mauroy. M. Mitterrand arrive au pouvoir alors que la croissance est au plus bas, et mène une politique de dépenses publiques keynésienne afin de retrouver la croissance. C’est très nouveau pour l’époque, et si cette politique est contestable, force est de constater que la croissance repart légèrement, et la chute est en tous cas enrayée. Mais pour que la croissance se maintienne, l’effort de dépense soit être très soutenu. Le moindre relâchement est sanctionné par une rechute (1983) :
– 1981 : 0,92 % de croissance, déficit public nul, dette de 20,7 %
– 1986 : 2,45 % de croissance, déficit public de 3 %, dette de 31 %
En cinq ans la gauche a donc fait passer la dette, qui était stable jusqu’alors, de 20 % à 30 % environ, pour un gain de croissance de 1,5 point environ.
La droite reprend le pouvoir avec Jacques Chirac en 1986 et entreprend immédiatement de réduire le déficit. La dette est maintenue autour de 30 %. Mais en 1988, la gauche revient au pouvoir et reprend la politique de dépenses publiques alors que la croissance est exceptionnelle :
– 1988 : 4,6 % de croissance, déficit public de 2,6 %, dette de 33 %
– 1993 : – 0,9 % de croissance négative, déficit public record de 6,4 % et dette de 46 %
Il est donc indéniable que cette période a marqué une forte augmentation de la dette publique, et l’idéologie socialiste de relance par la dépense n’y est pas pour rien. La gauche a tenté d’injecter de lourdes sommes pour soutenir la croissance, avec des résultats très contestés. Durant cette période, le déficit n’a cessé de se creuser, passant de 20 % en 1980 à 46 % en 1993.
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Cette période a fortement marqué les esprits, et a durablement classé la gauche et les socialistes dans le camp des dépensiers, alors que dans d’autres pays, cette dichotomie a été moins marquée.
Depuis 1993, la droite adopte à son tour le déficit, la gauche devient vertueuse
Le retour de la droite au pouvoir en 1993 après n’est pas pour autant synonyme de maîtrise budgétaire. La diminution du déficit est pourtant au programme d’Édouard Balladur, mais les baisses d’impôt accordées en début de mandat font du budget Sarkozy de 1993 le pire de l’après-guerre. La situation s’améliorera un peu par la suite, surtout après la victoire de Jacques Chirac en 1995 et la politique de rigueur d’Alain Juppé à partir de 1996. Le déficit est notamment jugulé par une hausse de la TVA de 18,6 % à 20,6 %, mais la dette explose toujours et passe durant cette période de 46 % à 58 %, et surtout la croissance repart à la baisse.
Après la dissolution de l’Assemblée nationale, la gauche revient au pouvoir et Lionel Jospin devient premier ministre. Des cinq années qui suivent, les gens retiendront surtout les 35 heures accusées d’être un gouffre pour les dépenses de l’État. Pourtant, malgré les baisses d’impôts, dont la TVA passée de 20,6 % à 19,6 %, le déficit public connaît une baisse continue jusqu’à atteindre 1,5 % du PIB en 2000 et 2001, soit le plus bas niveau depuis 1980. Pour la première fois depuis cette date, la dette est stabilisée et diminue même à partir de 1998. C’est également une période de forte croissance du PIB avec notamment 3,91 % en 2000. La gauche se met donc à la gestion budgétaire vertueuse. On assiste donc à un véritable retournement de situation idéologique, qui sera accentué les années suivantes.
En effet, de retour au pouvoir en 2002, la droite applique immédiatement un programme de baisse d’impôts qui fait repartir à la hausse la dette et le déficit, sans pour autant faire repartir la croissance. Cette politique, dériviée de la théorie de l’économie de l’offre et encore très vivace dans l’esprit de beaucoup de gens de droite, suppose que la pression fiscale envers les plus riches est un frein à la croissance. Elle leur substitue donc à un prélèvement obligatoire un emprunt. La dette repasse au-dessus des 60 % du PIB dès 2003. À son arrivée au ministère des finances en 2005, Thierry Breton tente de profiter de la croissance pour stabiliser à nouveau la dette et y parvient en partie. Mais celle-ci explose véritrablement après la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 avec l’adoption du paquet fiscal, et du plan de relance (très mitterrandien d’ailleurs) de 2009, géré par Patrick Devedjian. La dette atteint 80 % du PIB, un record absolu, tout comme le déficit qui explose les 7 %.
Ainsi, depuis 1993, la droite a tendance à appliquer des politiques de baisses d’impôts onéreuses qui n’ont pas d’impact sur la croissance, alors que la gauche a pris a son compte le concept de maîtrise budgétaire. Tout change à partir de 2010 avec l’apparition d’une crise de la dette publique en Europe : désormais, toutes les attentions sont portées sur une baisse de la dette publique car certains pays européens comme la Grèce sont au bord de la cessation de paiement. Les États perdent leurs AAA et doivent faire des efforts budgétaires sans précédent, sans quoi les marchés ne leur prêtent plus qu’à des taux d’usure. C’est dans ce contexte que François Fillon met en œuvre des mesures de rigueur, poursuivies par le gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault, dans l’optique de revenir à l’équilibre budgétaire.
Pendant ce temps, la croissance reste proche de zéro, et de plus en plus d’économistes alertent l’Europe sur le risque de tuer la croissance en menant des politiques aussi dures. C’est notamment le point de vue du prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz. L’objectif de François Hollande est de parvenir à l’équilibre d’ici à 2017. Va-t-il y parvenir ?
11 Responses to “Historique de la dette et du déficit en France (1978-2012)”
24 février 2013
MinijupeLà, on comprend mieux ! M E R C I
22 avril 2013
marcoilbiondointéressant, j’aimerais avoir 3 choses de plus :
1/ tous les diagrammes à la même échelle, l’effet de zoom fait passer un faible effort pour quelque chose d’important
2/ une courbe superposée des prélèvements obligatoires, est-ce que le taux de prélèvements augmentant ou diminuant a une influence sur la dette ? Comme vous le prétendez avec le bouclier fiscal…
3/ Enfin il me parait indispensable de distinguer le déficit budgétaire hors paiement de la dette, du déficit public.
Si la part du paiement des intérêts de la dette explose, le déficit sera à chaque fois plus fort quelque soit la politique. Et il me semble bien que tous nos déficits sont inférieurs aux intérêts de la dette déjà payés sur ces 30 ans !! En gros nous enrichissons les banques en nous appauvrissant.
22 avril 2013
Custin d'AstréeMerci pour vos remarques.
1. Pour l’échelle des diagrammes, je referai peut-être quelque chose mais l’échelle de gauche est toujours plus ou moins la même.
2. Concernant les prélèvements obligatoires, une donnée brute en % n’est peut-être pas pertinente. À creuser effectivement.
3. Cette donnée est introuvable. Avis à la population !
5 février 2014
JBMargTrès bon article sur la dette française. On s’y retrouve dans les politiques menées depuis 35 ans et leurs influences sur la dérive budgétaire de notre dette.
Néanmoins, et vous n’êtes pas le seul dans ce cas-là, arrêtez de parler de « croissance négative » et, dans certains médias, de « croissance nulle » : ce sont de la « décroissance » et de la « stagnation ».
5 février 2014
Custin d'AstréeMerci pour votre message.
Cependant, votre remarque est incorrecte.
Le terme « décroissance » en économie renvoie à un concept politique souvent anti-productivitiste.
Le terme « stagnation », lui, fait référence à un taux de croissance du PIB inférieur au taux de croissance potentiel, mais pas forcément nul.
C’est pour cela que nous parlons de croissance négative, ou de croissance nulle, lorsque le taux de croissance du PIB est inférieur ou égal à zéro.
18 avril 2014
Ghidone Francis (pseudo : FG)Merci pour la qualité de votre analyse. Il est en effet assez difficile de trouver ensemble les valeurs de déficit et de dette dans le temps.
Cependant l’expression du déficit et de la dette en % du PIB ne me semble pas la plus parlante. Je serai heureux de voir ces valeurs exprimées en €.
Aujourd’hui notre dette est de 2 000 milliards d’€ et nous savons qu’elle était de 1 200 milliards en 2007 puis 1 800 en 2012….
Il serait intéressant de faire un graphique depuis le 1974, arrivée de VGE au pouvoir et début de la dette, à ma connaissance, jusqu’à aujourd’hui en y plaçant également les noms des responsables politiques (Présidant, 1er ministre et ministre des finances). Ce graphique pourrait être complété par deux autres sur le même principe, l’un concernant le déficit public, l’autre le déficit budgétaire.
Vous pourriez nous dire ce que vous pensez des économies de 50 milliards d’€, prévues par notre président et notre 1er ministre, en trois ans, au regard des intérêts (ou coût) de notre dette et de cette dette dont je dis plus haut qu’elle aujourd’hui de 2 000 milliards d’€
D’un point de vue pratique, il me semble que les mentions : échelle de gauche, échelle de droite prêtent à confusion (avec nos tendances politiques) mieux vaudrait placer ces notions sur la base du graphique, à gauche et à droite.
9 décembre 2014
FranckAmusant cette manière de compter…
Prenons donc des outils clairs, simples, et réalistes.
Dans une entreprise normal, les dettes sont bien à retirer des bénéfices, non ?
Parler de la croissance du PIB, sans jamais retirer la dette, qui sont les impôts que les français auraient du payer, soit une diminution claire de leurs bénéfices, n’est il pas la tromperie majeure de cette fin du 20 ème siècle, et du début du 21 ème ?
Refaites donc vos statistiques, mais sans jamais vous tromper. Retire donc du PIB la progression de la dette. A chaque fois que la gauche a été au pouvoir, c’est elle qui a le plus financée la croissance par des dettes. Autrement dit, qui a mise en récession masquée la France et les français, par une dépense publique qui n’est en rien une création de richesse, et comme vous le constaterez vous même en effectuant ces calculs.
Pour connaitre le pouvoir d’achat réel, emparez vous également de l’inflation.
Retirez Dette du PIB, puis ensuite retirez de la croissance l’inflation, et vous saurez ainsi si nous étions en récession ou en déflation, de quelle baisse de pouvoir d’achat nous parlons effectivement.
Le mieux, cher ami, quand on veut jouer avec les chiffres, c’est d’en connaitre réellement les règles comptables. Appeler « investissement » une « dépense publique », c’est comme dire que la valeur ajoutée dans une entreprise, ce sont les bénéfices. C’est non seulement malhonnête, mais cela fait malheureusement plus de 35 ans que cela dure. Aussi, et comme toute marge d’entreprise, réalisée par cette fameuse valeur ajoutée, n’est pas extensible à l’infini, la valeur ajoutée par la dépense publique ne l’est pas davantage. Aujourd’hui, la dépense publique vampirise le capital, c’est à dire celui qui permet la création de richesse, en prenant l’excuse fallacieuse de la création de valeur ajoutée. Résultat, la valeur des produits est inabordable pour les pays qui voudraient en acquérir, et cela cumule aussi bien les prix hors cout, que les prix lissés. On tue la poule aux œufs d’or avec un État incompétent et omniprésent, avec 25% de la population active fonctionnaire ou assimilée, et une dépense publique ubuesque qui ne produit bien trop de valeur ajoutée, et pas aux endroits ou nous en aurions effectivement besoin. Résultat, nous courrons à une nouvelle catastrophe, et nous l’aurons très largement mérité…
5 juillet 2015
koLE GOUFFRE SARKOZY
(Mais cela il ne le vous dira jamais il préfère critiquer les autres a tout bout de champs)
Ministre du Budget sous BALLADUR (mars 1993-mars 1995), et comme, ministre des Finances sous Chirac (mars2004-décembre 2004 déficit cette année la 5,7 %)
Puis Comme président de la République (mai 2007-mai 2012 aura connu une) hausse cumulée de la dette publique de 830 milliards d’euros.
11 février 2016
Données | Pearltrees[…] Historique de la dette et du déficit en France (1978-2012) Il y a deux ans, sur ce même blog, j’avais fait un historique de la dette publique et du déficit en France. Voici ce même historique, revu, corrigé et mis à jour avec les dernières données disponibles, et rassemblé dans un seul et même billet sous forme de Grand Format. La sagesse populaire accuse souvent la gauche de proposer des politiques dispendieuses et d’accorder à la droite au moins le mérite de faire attention aux comptes publics. […]
11 février 2016
Données | Pearltrees[…] Les dépenses ont encore augmentées de 1.9%. Le solde primaire, calculé avant la charge de la dette, est important à connaître : s'il est négatif, cela veut dire que nous continuons à alimenter la dette. On montre que la dette se stabilise lorsque le solde primaire (en % du PIB) est égal à l'écart entre le taux d'intérêt réel et le taux de croissance de l'économie multiplié par le ratio de la dette publique dans le PIB. Historique de la dette et du déficit en France (1978-2012) […]
12 février 2016
A Classer | Pearltrees[…] Il faut préciser qu'à cette dette financière s'ajoutent d'autres engagements de l'État comme le paiement des retraites de ses fonctionnaires, évaluées à au moins 400 milliards d'euros. La dette financière a été multipliée par cinq en euros constants depuis 1980 La dette financière des administrations publiques a atteint, fin 2004, 1 067 milliards d'euros. L'État supporte 79 % de cette dette, les administrations publiques locales 10,5 %, les administrations de Sécurité sociale (y compris la Caisse d'amortissement de la dette sociale CADES) 8 % et les Organismes divers d'administration centrale (ODAC) 2,5 %. Le montant de la dette financière est difficile à interpréter. Pour prendre la mesure du problème, deux approches sont possibles. Historique de la dette et du déficit en France (1978-2012) […]