Faut-il favoriser fiscalement l’entrepreneuriat ?

on 8 octobre 2012 | 3 Comments

« Avec cette taxation des plus-values, on ne verra plus aucune entreprise créée en France. » « Tous les entrepreneurs et investisseurs vont fuir le pays. » « On tue l’entreprise. » Ces petites phrases, elles sont sorties de la bouche de proches plus que sceptiques sur la politique fiscale menée par le Gouvernement. Des petites phrases qu’on a également entendu au plus haut niveau, que ce soit du côté du patronat ou dans l’opposition. Pourquoi une telle panique ? Parce que le Gouvernement envisage, comme François Hollande l’avait promis durant la campagne, d’aligner la taxation des revenus du travail et du capital. Or, le capital, c’est la plus-value, c’est-à-dire le revenu de l’investisseur et du créateur d’entreprise.

Immédiatement la mesure annoncée, on l’a vu, Internet s’est affolé avec un mouvement de rébellion spontané de jeunes entrepreneurs, angoissés de se faire assommer d’impôts par la nouvelle majorité socialiste. Avec beaucoup d’approximations et d’informations erronées, ils ont réussi à mobiliser rapidement une partie de l’opinion, sous le sobriquet auto-administré de « pigeons ». Malheureusement pour eux, les pigeons ont vite été récupérés par quelques rapaces qui tournaient autour, et on a rapidement vu le mouvement accaparé par des mouvements ultra-libéraux, puis par le Medef, puis par l’UMP, qui ont rapidement déformé le message initial.

Même si le débat fut biaisé par ces récupérateurs et les médias, il en reste néanmoins intéressant : doit-on taxer de la même façon le capital et le travail ? Faut-il protéger les entrepreneurs, comme le souhaitent majoritairement les Français, selon un sondage, ou faut-il les assujettir au même régime que tout le monde ? Et, en fin de compte, de qui parle-t-on vraiment ?

Beaucoup de fantasmes au sujet des entrepreneurs

L’économie de marché valorise fortement l’entrepreneuriat, faisant de certains self-made-men des véritables légendes, de ceux qui sont partis de rien et qui sont devenus extrêmement riches. L’entrepreneur, c’est celui qui crée de la richesse, des emplois, qui fait marcher la boutique, qui travaille dur et prend des risques. En cela, il est quasiment intouchable, sorte de chevalier des temps modernes. Qui s’y attaque perd donc beaucoup de crédit dans l’opinion. C’est ce qui est arrivé ces derniers jours au Gouvernement.

Mais revenons au débat : doit-on proposer à l’entrepreneur qui revend son entreprise un régime fiscal plus avantageux que celui du salarié ? Pour me faire mon idée, j’ai puisé dans mon entourage, qui était quasi unanime : oui, l’entrepreneur mérite de payer moins d’impôts, car il a pris beaucoup de risques, a créé des emplois, a mis de côté sa vie privée, a beaucoup investi de ses économies. Bref : l’entrepreneur, il s’est sacrifié pour la société, alors elle peut bien lui rendre la pareille en ne lui prenant pas une partie de sa fortune lorsqu’il la gagne.

On voit là plusieurs thèmes très emblématiques de notre société : risque, vie privée, travail, économies, emplois créés. Justifient-ils un traitement de faveur ?

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Un taux d’échec élevé

On l’a vu, ce qui ressort le plus souvent, c’est la rémunération du risque. Il est vrai que monter sa boîte, quand on est jeune ou vieux, c’est risqué : on estime qu’après cinq ans, plus de 50 % des entreprises disparaissent. C’est un taux d’échec élevé, qui signifie qu’en général l’entrepreneur a perdu ce qu’il a misé, qu’il a perdu quelques années d’existence au cours desquelles il n’a pu se verser, souvent, aucune rémunération. L’APCE (Agence française pour la Création d’Entreprise) a effectué un travail très intéressant. On y découvre que, majoritairement, les causes d’échec sont à chercher du côté des carences commerciales, c’est-à-dire d’entreprises qui n’ont pas trouvé de clients, généralement parce que le bien ou le service proposé n’était pas adapté au marché. La deuxième cause d’échec, c’est l’incompétence administrative du créateur d’entreprise, dépassé par les événements. La troisième cause est l’incompétence technique du créateur, qui ne maîtrise pas son produit ou son service, et enfin la quatrième cause est liée au caractère du créateur, qui n’a pas su bien s’entendre avec son entourage, ni bien s’entourer pour faire de son entreprise un succès.

Ceux qui réussissent sont donc peu nombreux, et ceux qui réussissent suffisamment pour revendre leur affaire en faisant une belle plus-value encore plus rares. On parle donc d’une fiscalité sur un nombre réduit de personnes, mais qui conditionnent tout le mythe qui entoure l’entrepreneuriat : sans ces rares entrepreneurs victorieux, peut-être y aurait-il moins de tentatives.

Rémunérer le risque

Il s’agirait donc, via une fiscalité avantageuse, de rémunérer le risque qu’a pris l’entrepreneur prospère. Et c’est là quelque chose qui, à mon avis, devrait être fortement remis en cause : ce n’est pas au fisc, donc à l’État, de rémunérer le risque, ce n’est pas son rôle. C’est au marché de le faire, et il le fait très bien.

Lorsque vous achetez des actions, vous prenez un fort risque sur votre investissement : il est possible de tout perdre, comme de gagner très gros. Par contre, lorsque vous mettez de l’argent sur un livret, vous ne prenez aucun risque – hormis celui de la faillite de la banque et de l’État – mais vous ne bénéficiez d’un taux d’intérêt que légèrement supérieur à l’inflation. Pour résumer, plus le risque est élevé, plus l’amplitude gain-perte est grande. Cela s’applique à tout investissement, qu’il soit monétaire, mobilier, immobilier ou entrepreneurial.

Un entrepreneur qui revend, au bout de quelques années, son entreprise, en faisant une forte plus-value, aura donc vu le risque pris rémunéré. Mais pour un gagnant, il y aura beaucoup de perdants. Il n’est donc pas nécessaire que l’État rajoute une couche fiscale à cette plus forte rémunération en la taxant moins. Ce n’est ni son rôle, ni son intérêt.

L’État n’a aucun intérêt à favoriser fiscalement les plus-values de cessions

En effet, on parle souvent de l’effet dissuasif d’une trop grande imposition. C’est vrai que si vous taxez à 100 % une voiture, comme le fait le Gouvernement de Singapour, vous réduisez fortement le marché automobile local. L’impôt a donc un impact sur le comportement des agents économiques. Mais une forte taxation potentielle des plus-values liées aux cessions d’entreprises va-t-elle dissuader des milliers de jeunes de se lancer ? J’en doute fortement.

Si je veux monter ma boîte, je ne pense pas une seule seconde à sa revente dans cinq ou dix ans. J’ai d’autres motivations : être mon propre patron, vivre une aventure, mettre en pratique un rêve. Faire fortune peut également être une motivation, mais pas le régime fiscal auquel cette fortune va être taxée, car, comme on l’a vu, cette fortune est tout sauf assurée, elle est tellement lointaine et rare que, ce qui compte, c’est la motivation et la capacité à rassembler les compétences nécessaires au succès. Il est même très probable que le jeune qui va se lancer dans l’unique optique d’une revente aura de grandes chances d’échouer.

Prenons maintenant le point de vue de la société toute entière : a-t-elle intérêt à une revente ? Certainement pas. Souvent, le rachat est effectué une structure plus grande qui souhaite étendre son activité en absorbant un concurrent. Comme chaque fusion, le rachat s’accompagnera donc d’économies d’échelle, et donc de suppressions de postes, et d’une diminution de la concurrence sur le marché concerné, qui ne va pas dans l’intérêt du consommateur. En résumé, un rachat d’entreprise est globalement mauvais pour la société dans son ensemble. De plus, l’entreprise créée étant par nature franco-française, elle aura de grande chances de se faire absorber par un concurrent plus gros de nationalité autre, aux intérêts éloignés de ceux du pays. L’intérêt de l’État, des citoyens et des consommateurs est donc que l’entrepreneur conserve son entreprise, la fasse grandir, y reste. Favoriser la fiscalité sur la plus-value de cession est donc contre-productif. C’est l’inverse qu’il faudrait faire.

Vers une fiscalité plus rationnelle ?

En réalité, si le mouvement des « pigeons » a pris de l’ampleur, c’est que s’y sont greffés beaucoup de personnages dont l’intérêt n’était pas lié à celui des entrepreneurs, mais celui des investisseurs, et ceci n’est pas du tout la même chose. Aligner la fiscalité du travail et du capital n’aura aucune conséquence sur le dynamisme entrepreneurial du pays. Jouer sur la fiscalité des entreprises, sur celle des PME, par contre, aura un impact, et c’est pour cela que les jeunes créateurs devraient plutôt se battre, car sur le sujet, les arbitrages de l’État pourraient leur être tout à fait favorables : impôt sur les sociétés progressif, mesures d’aides aux PME,… ils ont tout intérêt à, dès maintenant, faire pression sur un gouvernement qui semble acquis à leur cause.

Les investisseurs ont peur. Et on les comprend. Pour eux, le système actuel est très sympa : la fiscalité les avantage et ils n’ont pas les inconvénients des entrepreneurs. Ils bénéficient de leurs rentes qu’ils font fructifier. Mais si la fiscalité est importante, elle n’est pas déterminante pour eux non plus. Certes, ils pourraient aller voir ailleurs, mais la France est un trop gros marché pour qu’ils la délaissent totalement. Ce qu’ils ne font d’ailleurs pas, la France restant un des pays les plus attractifs au monde. Non, ce qui est déterminant, au premier chef, pour un investisseur, c’est le couple potentiel-risque d’un investissement. Il cherchera toujours à optimiser ce couple, la fiscalité n’intervenant qu’après, car elle concernera toujours la plus-value, et donc le gain, et non l’investissement lui-même. Pour résumer, si l’investisseur gagne, il gagnera quelle que soit la fiscalité, celle-ci n’étant qu’un pourcentage de son gain.

Garder le cap

Il est donc important que le Gouvernement garde le cap des réformes fiscales, car le système actuel est injuste, favorisant la rente sur le travail. L’intérêt de tous réside dans une simplification de la fiscalité, touchant tout le monde selon les mêmes règles, à savoir un système progressif, non contraignant, et cohérent.

Dans tous les cas, ce n’est pas à l’État de récompenser une prise de risque que le marché prend déjà en compte. Ce n’est pas non plus à l’État de dire qui mérite plus qu’un autre les honneurs de la société – et il est cocasse asse de voir des libéraux défendre cette idée. Une fiscalité favorable aux patrons récompense l’innovation et la création d’emplois  ? Alors pourquoi ne pas carrément ajuster la fiscalité des entreprises sur le nombre d’emplois créés ? Pourquoi ne pas défiscaliser les ingénieurs qui inventent des technologies révolutionnaires qui créent bien plus d’emplois que l’idée d’un entrepreneur ? Si on met le doigt dans ce genre d’engrenages, on risque de se faire très mal. Le plus sage est donc de laisser faire le marché pour ce qui concerne le marché. On pourra toujours aider fiscalement, via des niches, les secteurs ou orientations dont la société a besoin et que le marché ne favorise pas assez.

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3 Responses to “Faut-il favoriser fiscalement l’entrepreneuriat ?”

  1. 10 octobre 2012

    Emmanuel AURAY Répondre

    Je suis sur le principe d’accord avec vous… sauf que vous n’abordez pas l’incitation au réinvestissement. Or c’est là qu’il pourrait y avoir intérêt à défiscaliser par exemple le réinvestissement au bout de x (>5) années dans une autre entreprise de moins de, par exemple, 5 années…

  2. 14 octobre 2012

    silver price Répondre

    Oui, mais voilà, il paraît que je vais devoir partager. Plus de 60 % à donner à l’État. J’ai beau regarder en arrière, personne n’est venu partager avec moi 60 % de mes soucis, ni 60 % des risques pris. Contribuer au bien collectif ? Bien sûr. L’État m’a fourni des routes pour aller voir mes clients, des écoles pour former mes salariés, des hôpitaux pour soigner les effets de mon stress. Mais pourquoi plus que les allemands, qui paient 26 %, qui ont de meilleures routes, de meilleures écoles (ils n’ont certes pas d’ENA, je me demande comment ils s’en sortent), de meilleurs hôpitaux (vous avez essayé un service d’urgence en France ?) Pourquoi suis-je puni ainsi ?

    • 14 octobre 2012

      Custin d'Astrée Répondre

      De meilleures routes en Allemagne ? Vous ne les avez pas souvent fréquentées. Etpuis, vous ne le savez peut-être pas, mais les impôts sont plus élevés en Allemagne qu’en France. Et vous savez quoi ? Aux États-Unis, les impôts sur les plus-values sont taxées de la même façon que les revenus ? Dingue non ? Ah et une dernière chose : si vous atteignez les 60 % dont vous parlez, c’est que vous faites une sacré plus-value. Vous êtes un génie, bravo ! Il vous restera tout de même 40 % de cette somme extra-ordinaire (supérieure à 1,1 million pour atteindre ce taux). À ce niveau vous auriez dû attendre au lieu de revendre, votre entrperise étant une mine d’or !

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