Assez difficile de l’éviter, de nos jours. On nous dit depuis tout petit de ne pas y toucher, que ça rend malheureux, mais nous sommes quand-même tentés, entraînés par nos potes qui y sont et qui s’en extasient. Arrive forcément un jour où nous y touchons, où nous nous injectons cette héroïne dans les veines. Paris.
Nous savons que la vie parisienne nous coûtera très cher, tout le monde le dit, mais nous y allons quand-même, car l’enivrante saveur de la toute-puissance qui baigne dans l’air de la cité millénaire compense toutes les privations qu’elle impliquera. Nous y plongeons de bonne grâce, conscients de faire une bêtise, enfants que nous sommes face à un jouet espéré.
Après quelques jours à peine, la vie fourmilière commence son sobre et sombre cours : il faut quitter le microscopique cocon tôt le matin, emprunter des chemins souterrains peuplés de ces semblables eux-aussi drogués, passer sa journée dans un environnement rempli de drogués, repasser tard le soir dans ces souterrains entouré de drogués, et dormir. Mais en tant que drogue, Paris nous apporte au rythme qu’il convient ces moments d’adrénaline qui nous arrivent lorsque nous arpentons à des heures indues ses sublimes rues rassurantes, ses monuments éternels qui donnent la force de continuer, encore, et heureux.
Au loin, abreuvés par nos familles, nous imaginons un monde provincial peuplé de bovins broutant la vie à pleines dents au milieu de verdure à perte de vue. Cet éden inaccessible paraît loin et pourtant si proche, si proche d’une simple décision que tout drogué s’est convenu de prendre un jour et clame à qui veut l’entendre : « J’irai ouvrir un gîte dans le Périgord, si, si ! » Naturellement, tout cracks que nous sommes, ce jour ne viendra jamais, et comme les autres, nous dépérirons, notre corps avec nous, avalé par le muscle digestif de l’ogre Paris, heureuses victimes d’un syndrome de Stockholm à très grande échelle.
Quelques-uns, néanmoins, dont les appels à l’aide inconscients auront été assez bruyants pour être entendus par leurs proches épargnés, auront peut-être la chance d’en obtenir une deuxième, loin du tumulte parisien. Une autre vie est possible, peut-être plus heureuse, mais certainement moins stupéfiante que celle qu’a à nous offrir cette Paris héroïne.
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