Comme un cheveu sur la soupe populaire, la TVA dite « sociale » est revenue sur le devant de la scène à l’instigation du gouvernement et du parti majoritaire, qui veulent en faire une dernière mesure phare de la majorité avant de peut-être céder la place à l’opposition en mai prochain.
L’idéologue et caution intellectuelle de l’UMP, Nadine Morano, a déclaré que la TVA qu’elle appelle « sociale » était une mesure de gauche. D’autres voix à l’UMP lui donnent des vertus anti délocalisations. Le gouvernement parle de mesure d’urgence pour relancer l’emploi après des chiffres du chômage en forte hausse. Qu’en est-il réellement ?
En quoi consiste la TVA dite « sociale »
Je mets le mot « social » entre guillemets car elle porte ce nom non pas parce qu’elle a une portée sociale, mais parce qu’elle concerne le budget de la sécurité sociale. En effet, elle consiste à remplacer les cotisations patronales et salariales par une augmentation de TVA, qui passerait donc de 19,6 % actuellement à 23 ou 24 %.
Le gouvernement a-t-il le temps de mettre en place une telle mesure avant les élections ?
Claude Guéant a annoncé que le gouvernement prendrait le temps de le faire, quitte à convoquer une session parlementaire exceptionnelle d’ici à février. Les choses peuvent donc aller très vite si la volonté politique est là. Maintenant, il est plus que surprenant que la majorité vote une forte hausse de TVA juste avant les élections. La stratégie derrière tout ça est floue et deux hypothèses peuvent être avancées. La première est celle d’une technique de la terre brûlée : sachant qu’elle n’a aucune chance de se maintenir au pouvoir après 2012, l’UMP met en œuvre les dernières mesures qu’elle soutient avant de passer la main. La deuxième hypothèse est plus électoraliste : une hausse d’impôts violente de la droite, additionnée à une idée reçue selon laquelle la gauche va elle-aussi augmenter les impôts des classes moyennes aura pour conséquence de faire monter mécaniquement le FN. Et la seule chance qu’a Nicolas Sarkozy d’être réélu en mai prochain est de se retrouver face à Le Pen au second tour.
La TVA dite « sociale » est-elle de gauche ?
Il est malhonnête d’affirmer une chose pareille. Cette mesure consiste à transférer un impôt – ou plutôt une cotisation – payée majoritairement par les entreprises vers l’ensemble des citoyens. De plus, il s’agit d’un transfert d’un impôt proportionnel – c’est-à-dire payé en proportion des revenus des salariés – vers un impôt dégressif – c’est-à-dire qui impacte plus les petits revenus que les gros. C’est donc tout le contraire d’une mesure de gauche !
La TVA dite « sociale » peut-elle servir à la lutte contre les délocalisations ?
Là encore, c’est très contesté par les économistes. C’est une idée qui n’est même pas défendue par les libéraux, et pour cause : ce qui pousse un employeur à délocaliser c’est un gain important sur ses coûts du travail. Or, la TVA dite « sociale » ne fera diminuer le coût du travail que faiblement. En allant en Chine, une entreprise divise par quatre ou cinq ses coûts du travail. De plus, la France est la championne d’Europe des allègements de charges, avec des taux réels d’imposition des sociétés très en-dessous des taux officiels. Et ça n’a jamais empêché la France de se désindustrialiser : la dernière expérience ratée en date étant la défiscalisation des heures supplémentaires qui ne s’est pas accompagnée d’une baisse du chômage, et sur laquelle le gouvernement revient désormais.
La TVA dite « sociale » peut-elle servir à la lutte contre le chômage ?
Là encore, c’est non. Un employeur ne va pas prendre la décision d’embaucher parce qu’un employé va lui coûter 1 900 € par mois au lieu de 2 000 €. Il va embaucher parce qu’il a une hausse d’activité. Or, augmenter la TVA de quatre points, c’est augmenter tous les prix et donc fortement impacter le pouvoir d’achat de la majorité des Français. De plus, la TVA sociale touche en priorité les faibles revenus, c’est-à-dire ceux qui consomment la plus grande partie de leur salaire et qui sont le moteur de la consommation. Imposer à un pays du jour au lendemain l’équivalent d’un an d’inflation c’est prendre le risque de donner un coup de frein violent à l’activité, qui est déjà moribonde. C’est donc une mesure dangereuse pour la croissance, et pour l’emploi.
Que font les autres pays européens ?
Contrairement à une idée reçue, la France n’est pas le pays où les cotisations sociales sont les plus lourdes. L’Allemagne ou la Belgique, par exemple, pratiquent des taux plus élevés. Et pourtant, ces deux pays ont connu, contrairement à la plupart des autres pays européens, une baisse assez significative du chômage une désindustrialisation moindre malgré la crise. Le Danemark a mis en œuvre une mesure de TVA dite « sociale » entre 1987 et 1989 pour… freiner la consommation ! Cette mesure avait été prise pour éviter une surchauffe de l’économie. La consommation a en effet stagné, les exportations danoises diminué et le chômage augmenté durant les années qui ont suivi.
Que faudrait-il faire pour que la fiscalité soit plus juste ?
La France, pour maintenir ses finances publiques à flot, pratique des taux officiels d’imposition très élevés. Mais pour atténuer l’impact des hausses d’impôts sur certaines catégories protégées – soit par l’action de lobbies, soit par la volonté de distiller ses faveurs à un électorat potentiel – les différents gouvernements ont créé de nombreuses exceptions – que l’on appelle « niches » – et déductions fiscales qui font que les taux réels sont assez bas pour certains secteurs d’activité. Le problème réside surtout dans la répartition de la pression fiscale sur la population et les entreprises : souvent ce sont les plus aisés qui peuvent mettre en place des mécanismes de défiscalisation, ce qui a abouti à des impôts globalement plus lourds pour les plus pauvres et les petites entreprises que pour les plus riches. Des taux d’impositions simples, claires, justes et incontournables mais raisonnables seraient donc plus sains pour notre économie. Mais il est très difficile de modifier en profondeur la fiscalité d’un pays, car les impacts immédiats sur les acteurs de l’économie sont souvent pénalisants.
Que faudrait-il faire pour empêcher les délocalisations ?
De nombreux pays pratiquent un protectionnisme à grande échelle, comme les émergents que sont la Chine, le Brésil, l’Inde, mais aussi des grandes puissances installées comme les États-Unis : il est par exemple impossible pour une entreprise française de concourir à un appel d’offre dans ces pays sans promettre une forte part de production locale. L’Europe n’impose pas de telles conditions. Peut-être devrait-elle le faire ?
Photo Europe 1
EDIT 05/01/2012 – La TVA sociale préparée par le gouvernement ne concernerait qu’un allègement des cotisations patronales. Point d’augmentations de salaires en vue, donc : tous les citoyens seraient touchés par une augmentation du coût de la vie.
2 Responses to “La TVA sociale en questions”
16 janvier 2012
Ce qui nous attend si l’UMP gagne[…] détail de cette mesure est ici. Elle consiste à remplacer les cotisations patronales par une hausse de la TVA de 4 à 5 points. […]
8 février 2012
La TVA sociale de Nicolas Sarkozy va financer plus de 8 500 € par emploi créé[…] Valérie Pécresse, ministre du budget, l’opération a plusieurs finalités déjà exposées dans ce billet. Une de ces finalités est la création de 100 000 emplois. L’INSEE table quant à elle à un […]