Après quelques semaines d’hésitation, je suis allé voir le film Intouchables. Oui, le fameux. En général, lorsque qu’il y a un engouement pour quelque chose, qu’il devient un phénomène de société, que tout le monde y court, j’hésite promptement à suivre le mouvement, mon sens du scepticisme en éveil : il peut s’agir d’une stratégie marketing qui a particulièrement bien marché, ou bien d’une hallucination collective. Bref : je me méfie.

Mais là, j’y suis allé, et je dois reconnaître que j’ai bien aimé. Ça m’ennuie un peu parce que, comme tout le monde, je préfère me sentir unique, je préfère avoir l’impression de n’être pas comme tous ces moutons qui suivent l’opinion publique, cette bête qui ne sait pas toujours très bien ce qu’elle veut. Je me suis un peu senti comme lorsque j’ai acquis un téléphone tactile de la marque à la pomme : honteux mais content.

J’ai donc bien aimé Intouchables, et ce, d’autant plus qu’il n’y a aucune morale ni parabole à retenir de ce film. Cette œuvre cinématographique connaît un énorme succès, mais curieusement la grande majorité du public ne peut pas s’identifier à un des deux personnages principaux : les repris de justice immigrés et les tétraplégiques millionnaires ne constituent certainement pas la majorité des gens qui se sont rendus dans les salles. Il est d’ailleurs curieux que, côté moralité, personne – pas même quelque obscur porte flingue de l’UMP ou du FN – n’a réellement dénoncé certains appels au délit omniprésents dans le film : délinquance routière célébrée, cannabis convivialisé, prostitution banalisée.

C’est comme si – et là je vais faire mon éditorialiste d’opérette – en ces temps de rigueur et de crise, les gens en avaient marre de l’ordre et de la morale et souhaitaient se défouler un peu en transgressant, du moins par la pensée, certaines lois restrictives de liberté votées pour le compte de la sécurité. Que cela peut-il présager pour l’avenir ? Qu’à force de se faire bananer de toutes parts par les dirigeants qu’on lui demande de choisir, les hordes vont finir par dire stop ?

En attendant, elles vont au ciné, le samedi soir, pour passer un bon moment en famille, en se gaussant de l’autorité, des conventions, des règles et en se disant que c’est bon, de temps en temps, de désobéir.