On dit qu’en politique les lignes ont tendance à évoluer avec le temps. Ce fut le cas, par exemple, du Parti radical, franchement vu comme membre de l’extrême gauche à ses débuts pour son intransigeance républicaine face aux Républicains modérés et aux Monarchistes et Bonapartistes, et coincés aujourd’hui au centre, éparpillés entre des Radicaux de gauche tributaires du Parti socialiste et des Radicaux « valoisiens » membres de plein droit et de bonne volonté du parti présidentiel majoritaire jusqu’il y a peu.
Mais les lignes n’évoluent pas qu’à gauche ! Mettons tout de suite les pieds dans le plat en faisant un parallèle intéressant avec les petites phrases de certains politiciens classés dans l’extrême droite et ce qu’on peut entendre depuis quelques temps dans les médias de la part de certains membres de la majorité présidentielle. Ce genre d’exercice a l’habitude de provoquer des hérissements capillaires chez les personnes citées. La seconde conséquence sera de vous faire accuser par ces mêmes personnes et leurs amis de tous les maux, dont celui de « faire le jeu du Front national », antienne dégainée aussi rapidement qu’un point Godwin par un étudiant membre de l’UNI ou un Jeune Pop’.
Le glissement des lignes peut s’illustrer dans les paroles médiatisées d’un Jean-Marie Le Pen, assez stable dans la provocation des années 1980 à aujourd’hui. Commençons par une phrase très célèbre : « [les chambres à gaz sont] un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale » prononcée pour la première fois en 1987 à la radio, répétée deux fois après cela — en 2008 et 2009 – et pour laquelle il aura été condamné à deux reprises. Ces propos ont évidemment scandalisé tout le monde, rappelant aux Français les proximités de l’homme avec une tendance vichyste bannie jusqu’ici de la politique française. Des mauvaises boutades du même type ont été répétées tout au long de la carrière du vieux, telle la fameuse phrase prononcée lors d’une université d’été du FN en 1988 : « M. Durafour-crématoire, merci de cet aveu. », elle-aussi suivie d’ennuis judiciaires.
Il faut reconnaître qu’aujourd’hui aucun homme politique de droite ne soulève de telles références à l’occupation et au nazisme. Si les dérapages que nous connaissons désormais se multiplient, ils concernent d’autres sujets, mais sont toujours bâtis sur une mise en exergue du rôle de l’étranger, du différent, de l’autre dont l’attitude ou l’identité n’est pas conforme au modèle en vigueur. Ils se rapprochent ainsi plutôt de cette sortie hallucinante de Le Pen face à Lionel Stoléru, toujours teintée d’antisémitisme, mais qui fait intervenir de manière explicite la notion de double nationalité, remise au (mauvais) goût du jour récemment. Cette accusation à peine voilée fit scandale à l’époque. Aujourd’hui, une certaine partie de la droite considère ouvertement que la double nationalité d’un personnage politique pose un problème. Les lignes ont bien bougé : ce qui était scandaleux en 1989 est revendiqué aujourd’hui par des députés, des ministres, un président de parti majoritaire dit républicain, notamment face à une candidate franco-norvégienne à la présidence de la République.
Plutôt encline à choisir les thèmes du populisme pour satisfaire sa base électorale traditionnelle, la droite a longtemps trébuché sur ces thèmes sensibles. C’est sous la forme d’une hésitation constante que de nombreux personnages gaullistes, centristes et conservateurs ont cheminé entre droite et extrême droite tout au long de leur carrière. Il nous revient évidemment au souvenir une expression issue d’un discours de Jacques Chirac, alors maire de Paris et président du RPR en 1991 : « Le bruit et l’odeur », tout à fait symptomatique de la facilité avec laquelle certaines personnalités peuvent déraper. Le même se rattrapera en 2002 en devenant le héraut de l’opposition à « l’intolérance et la haine » face à laquelle il n’y a « pas de débat possible ». Mais ce péché originel du bruit et de l’odeur aura marqué à jamais les esprits. La droite n’est d’ailleurs pas la seule à avoir flirté avec des conceptions pouvant être qualifiées de racistes : on peut citer évidemment George Frêche qualifiant des Harkis qui l’interpellaient de sous-hommes en 2006, ou plus profondément le passé trouble de François Mitterrand pendant la Guerre.
Ce flirt incessant avec l’extrême est toutefois toujours resté assez rare, tenant plus de l’accident, du mot de trop, que de la ligne politique. Le tournant est pourtant intervenu peu avant 2007, lorsque Nicolas Sarkozy a volontairement durci son discours dans le but d’attirer les voix qui se portaient autrefois sur le FN. Ce retournement stratégique a peut-être fonctionné un temps, même si on peut également expliquer le faible score du parti de Jean-Marie Le Pen en 2007 par l’extrême isolement dans lequel il a été placé à partir de 2002 : la diabolisation a rendu le vote extrême honteux et improductif. La remontée de l’extrême droite depuis prouve l’ inefficacité, voire la dangerosité d’une telle stratégie.
Ainsi, les petites phrases se sont multipliées, sans provoquer de réaction indignée au sein de l’UMP, à tel point que l’on peut sans aucun problème soupçonner ces dérapages d’être contrôlés : il serait inutile de tous les lister, mais certains sont très emblématiques. Taper « dérapage UMP » dans Google renvoie 357 000 résultats, et les noms qui apparaissent sont nombreux : Chantal Brunel, Gérard Longuet, Francis Delattre, André Valentin, Christian Jacob, Geoffroy Baudot, Brigitte Barèges, Brice Hortefeux, Christian Vanneste, Claude Guéant, Nicolas Sarkozy lui-même, et bien d’autres. La typologie est à chaque fois identique : on rappelle l’origine ethnique de sportifs en déplorant son déséquilibre statistique en faveur de l’immigration, on regrette de se voir envahir, on amalgame certaines sexualités avec des déviances criminelles, bref : on attise les plus bas penchants, on donne raison en fait à ceux qui depuis toujours font de ces bassesses leur fond de commerce, pour au final séparer les citoyens en plusieurs catégories.
Les lignes sont floues, elles bougent, mais ce qui est intéressant de constater est qu’il s’agit toujours d’un discours facile, largement électoral, totalement populiste. Peu importent les convictions, ce qui compte c’est de parler aux instincts les plus immédiats des électeurs potentiels. Les explications simplistes aux problèmes quotidiens sont toujours mieux reçues que les tirades complexes. La vérité ne gagne que si elle peut être exposée rapidement. Le discours servant à convaincre des politiques ne s’embarrasse pas de ces choses-là. La raison pour laquelle ces dérapages viennent le plus souvent de la droite est que la démonstration de ses théories est plus rapide, plus instinctive dans les réalités du monde d’aujourd’hui. La simplicité qu’avait autrefois le communisme à présenter l’égalité n’est désormais plus si facilement audible.
Photos
1. Jean-François Copé, Amine Benalai-Brouch et Brice Hortefeux, au campus de l’UMP, le 5 septembre 2009. | MAXPPP via Le Post
2. Marine Le Pen | REUTERS/© Pascal Rossignol / Reuters via Conscience Politique
3. Jacques Chirac | © Olivier Weiken/epa/Corbis/Olivier Weiken via Le Post
4. Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, photo : AFP via Nord Éclair
5 Responses to “Lignes blanches franchies et dérapages contrôlés”
2 septembre 2011
danslesnuagesAu risque de me faire l’avocat du diable, pinailleur et gauchiste dans l’âme, je crois que Freche traitait les harkis de « sous-hommes » du fait de leur traîtrise envers leur pays et non pour une appartenance ethnique.
2 septembre 2011
sebmussetBon là, ça dérape au-delà des 365 mots.
2 septembre 2011
CustinD’où la rubrique ad hoc ! Tu sais, faire tenir les dérapages de l’UMP en moins de 365 mots tient de la gageure !
2 septembre 2011
Variae › En avant-première, le classement Wikio “société” de septembre[…] un petit clin d’oeil pour l’ami @custinda, qui réalise me semble-t-il une percée assez […]
3 septembre 2011
sebmussetExact, pas vu le tag ;,)