Il y a quelques jours, Laurent Joffrin, directeur de la publication du Nouvel Observateur, a été au cœur d’une petite polémique sur le réseau social Twitter. Peu habitué de l’exercice, celui-ci a en effet commis une suite de maladresses ayant eu deux conséquences : il a gagné en deux jours plus d’une centaine defollowers, c’est-à-dire de personnes suivant son compte, et il a suscité de nombreux commentaires amusés et moqueurs.
L’éditorialiste n’était pourtant pas un novice en communication sociale et politique, mais il a probablement été victime de son manque d’expérience dans un monde qu’il ne connaissait pas. Twitter a en effet ses règles, ses usages, et même si on peut facilement les enfreindre – certains y trouvent d’ailleurs un malin plaisir – il y a une chose qui ne pardonne pas : l’agressivité. Tout a commencé par un tweet, un simple petit message de moins de 140 caractères. Le sujet : la sortie d’Eva Joly sur le défilé du 14 juillet. Ce tweet était le suivant : « Eva Joly veut supprimer le défilé du 14 juillet. La guerre aurait donc disparu de la surface de la terre ? Ou bien compte-t-elle l’abolir ? »
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais ils ont été nombreux à trouver que cette petite phrase était un mélange de mauvaise foi, de raccourci digne d’une discussion de bistro, en somme un syllogisme douteux. Il est vrai que justifier l’existence d’un défilé militaire par le fait qu’il y a des guerres dans le monde est pour le moins difficile à défendre, dans la mesure où ce défilé n’existe tout simplement pas, par exemple, aux États-Unis, qui sont pourtant impliqués dans de nombreux conflits de par le monde. Son message visait peut-être à résumer sa position développée de manière beaucoup plus argumentée sur le siteNouvelobs.com. Le problème est qu’au lieu de faire amende honorable et de reconnaître que son tweet était mal rédigé, M. Joffrin feint de ne pas comprendre que les « invectives » qu’il dénonce ne concernaient que son intervention sur Twitter et renvoie à son article, s’enfonçant dans sa logique : nous avons une armée, donc nous devons avoir un défilé.
La chose aurait pu en rester là si quelques jours plus tard, un autre tweet, beaucoup plus court que le précédent, n’avait pas déchaîné à nouveau les passions. En effet, Franz Peultier, un membre d’ACRIMED, association de gauche proche des mouvances altermondialistes, l’interpelle de manière familière en le tutoyant sur un autre sujet, l’envolée de l’or, que l’éditorialiste avait précédemment évoquée. Le « vive la crise » adressé par M. Peultier à M. Joffrin ne plaît pas du tout à ce dernier qui lui répond « qui vous autorise à me tutoyer ? ». Évidemment, une telle réponse fait beaucoup parler d’elle sur un réseau social où le tutoiement est plutôt la règle. Ce sont donc les moqueries qui fusent de toutes parts, et ce pendant une grande partie de la journée, au point que M. Joffrin s’énerve dénonçant les insultes et la bêtise dont il est le témoin.
Un autre esprit, raisonné et plus habitué de Twitter, aurait pris cela sur le ton de l’humour, comme Frédéric Lefebvre l’avait fait lorsque pendant plusieurs joursTwitter avait tourné en ridicule sa confusion entre Zadig de Voltaire et la marque de vêtements Zadig & Voltaire. Au lieu de cela, M. Joffrin en rajoute dans un énervement, visiblement vexé d’avoir été pris pour cible des railleries, tel un écolier montré du doigt par ses petits camarades pour une bêtise prononcée, et qui piétinerait en hurlant « vous êtes tous des méchants ». Il est possible que tout cela soit lié à un quiproquo. Laurent Joffrin n’aurait en effet pas supporté une référence qui avait échappé à beaucoup de monde : cette émission de 1984 où Yves Montand dénonce avec sarcasme la politique mitterrandienne. M. Joffrin, alors responsable économique à Libération, avait totalement soutenu la démarche. Ceci n’est peut-être plus aujourd’hui un très bon souvenir pour lui.
Pour ne pas en rester là, le directeur de la publication du Nouvel Observateur ne s’est pas contenté de considérer comme insultants les nombreux messages dont il était l’objet, il a également dénoncé le fait que ces messages venaient de « courageux anonymes ». Ce mode de défense est très répandu lorsqu’un personnage public est invectivé par des personnes cachées derrière un pseudonyme. Mais ce que Laurent Joffrin oublie c’est que de nombreuses personnes de très grande qualité ne peuvent tout simplement pas utiliser leur vraie identité sur Internet pour des raisons souvent professionnelles. Lorsqu’on n’a pas un métier public, il est globalement difficile d’intervenir à visage découvert pour émettre de manière régulière des opinions politiques, sous peine de se voir rappeler à l’ordre par son employeur. Ça ne veut pas pour autant dire que l’ensemble de ces gens sont des couards ayants la bassesse de l’insulter en se cachant.
Pour résumer, ce sont de multiples gaffes qui ont constitué un véritable dérapage de Laurent Joffrin sur Twitter. Gaffes peut-être dues à son manque d’expérience, de recul et d’humour. Il n’a pas compris que les intervenants sont multiples, divers, et les réactions immédiates et franchement familières. J’ai pensé un moment que cet emportement était lié à l’environnement feutré et respectueux dont il a sans doute l’habitude. Mais son démenti à ce propos me fait soulever une autre hypothèse : a contrario, le monde des médias est tellement brutal qu’il a transposé cette violence sur Twitter. Un petit mot d’esprit aurait peut-être pu l’aider à récupérer le capital sympathie qu’il s’est construit sur une longue et prestigieuse carrière et qu’il a perdu en quelques phrases.
Photo lepost.fr
2 Responses to “Laurent Joffrin a-t-il commis un dérapage sur Twitter ?”
12 août 2011
cui cui fit l'oiseauFinement analysé. Je ne vois pas pourquoi un nombre grandissant de journalistes et de personnalités politiques utilisent Twitter alors qu’ils ne connaissent strictement rien à Internet et aux réseaux dits sociaux.
C’est un peu comme Hollande ou Aubry qui délèguent leurs tweets à un sous-fifre.
Bref !
Il est préférable pour eux, de s’abstenir que de se vautrer dans le ridicule.
Ou apprendre comme tout un chacun. Humblement ; peut-être est-ce la chose la plus difficile…
12 août 2011
CustinPour information, cet article a été proposé au Plus du Nouvel Obs sur lequel j’avais pris l’habitude de poster des billets n’entrant pas dans le cadre de ce blog (car ils faisaient plus de 365 mots).
La rédaction du Plus a refusé sa publication pour une raison inconnue, après en avoir référé à M. Joffrin.