Pour la première fois, ce n’est pas un inconnu du métro que je vais vous dépeindre, mais un inconnu du bus. Ou plutôt une inconnue. Il est 7h30 le matin, nous sommes en semaine, elle s’est certainement réveillée depuis longtemps. Elle a la démarche difficile, très difficile, de ceux qui ont beaucoup d’années à supporter sur leurs épaules.
À quatre-vingts ans bien tassés, on a les épaules courbées. Cette respectable vieille dame se déplace avec sa canne, et grimpe d’un pas alerte dans le bus par la porte arrière. Ce n’est pas dans les règles mais ça a l’air d’avoir été convenu avec le conducteur. Une fois à l’intérieur, c’est là que commence le manège : le bus est plein, pas de place assise à l’exception d’un strapontin devant lequel une personne est debout. La dame n’ose pas demander ouvertement une place, mais regarde avec insistance et intérêt l’ensemble des gens assis. Un regard implorant, un regard face auquel on ne peut pas rester insensible. Malgré tout personne ne se lève, on est à Paris quand-même.
Je fais remarquer au monsieur qu’il peut laisser le strapontin à la dame, et il s’exécute immédiatement. La dame très reconnaissante ne remercie personne et s’assoit en maugréant. C’est à ce moment qu’un autre monsieur, lui-aussi d’un âge respectable, la reconnaît et lui dit bonjour. Là commence une conversation un peu cocasse, ou chacun est obligé de répéter deux fois pour cause de surdité mutuelle. L’homme doit être un de ces retraités qui s’engagent dans les bonnes œuvres – il visite a priori des prisions. La dame lui répète d’ailleurs souvent : « Ah vous êtes courageux ! ».
La conversation s’enlise un peu car manifestement leur vie de retraités reste somme toute assez répétitive et très paradoxalement, même si les années et les expériences s’accumulent, la routine et l’ennui d’un quotidien prennent la place des souvenirs dans la mémoire.
Je n’ai pas compris où la dame se rendait, mais j’ai saisi qu’elle s’y rendait avec trois quarts d’heure d’avance et qu’elle s’y rendait souvent. C’est à ce moment que je sors du bus pour prendre le métro et me rendre à mon travail…
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