Il avance la tête baissée, d’un pas décidé, d’un air gêné. Baissé, décidé, gêné : voilà trois adjectifs qui conviennent parfaitement à ce jeune qui paraît perturbé. Pourquoi rencontrer tant de difficulté à se trouver dans le métro, un lieu public.
À peine lève-t-il sa tête qu’il pense croiser le regard de quelqu’un et la rebaisse aussitôt. Son extrême timidité crève les yeux. Sa tenue vestimentaire colle de manière caricaturale à son attitude : pantalon beige à pinces sans ceinture, polo bleu ciel où le bouton du haut est fermé. La coupe de cheveux est très banale, fait plus enfant qu’adulte : une simple raie de côté et des cheveux lisses. Il doit pourtant avoir pas loin de la trentaine.
Il lit un roman d’une épaisseur respectable, dont il a pris soin de cacher la couverture avec un protège cahier, pratique que je n’avais pour le moment vu que chez des passagers au physique asiatique. Il feint d’être plongé dans sa lecture, mais on comprend qu’il est plus préoccupé par les gens qui l’entourent. Son petit tic consiste à lever furtivement la tête, de temps en temps, et à regarder en coin, autour de lui, pour vérifier qu’il n’y a personne qui l’observe. Il serait presque aux abois.
Cet inconnu troublant paraît mal dans sa peau, il ressemble à ces malades mentaux des séries américaines, qui sont dans un état de gêne extrême avant de commettre un horrible forfait : pose d’une bombe, propagation d’un virus mortel, vidage de chargeur sur les élèves d’un collège, etc. Si on se faisait des films, on pourrait croire qu’il est en route pour une vilaine tâche commandée par quelqu’un qui a le dessus sur lui, qui le contrôle et le domine.
Il semble en effet manifeste que cet inconnu n’est pas libre, qu’il est sous l’emprise d’un homme ou d’une femme, peut-être sa mère, et que cette emprise tient grâce à la peur que lui inspire la société : même fortement oppressé chez lui, il préfèrera cette servitude familière à l’asphyxie que lui procure ce monde tellement vaste et inconnu.
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