Divagations, épisode 1.
La poésie, c’était un peu par paresse. Pas qu’il trouvât plus simple d’écrire en vers plutôt qu’en prose. La poésie lui permettait surtout de se limiter à une pensée, une action, un moment, éliminant tout le reste pour se concentrer sur ce qu’il avait à dire, et comment il voulait le dire. Mais le problème, c’était que l’inspiration ne lui venait que quand il avait le moral dans les chaussettes. Et se maintenir volontairement dans un état dépressif ne lui semblait pas être ce qu’on pourrait appeler bonne hygiène de vie. Il se fit donc violence et décida de passer à la prose. Antoine voulait écrire, mais il ne savait pas encore quoi.
Cette décision fut prise un mercredi soir d’octobre dans un café de la rue de Grenelle. Là, au beau milieu de ministères plus inutiles les uns que les autres, il appréciait de voir passer dans leur Citroën C5 les ministres escortés par une quinzaine de gendarmes en moto. En fait d’apprécier, ce qui l’amenait ici était plutôt le fait que tout cet argent dilapidé lui provoquait un fort sentiment d’exaspération qu’il ne pouvait refreiner et qui se reflétait dans certains de ses poèmes. La presse et les critiques ne manquaient pas de les qualifier d’engagés, ce qui avait pour effet d’amener la curiosité – et donc l’argent – du public sur ses publications.
« Je suis un écrivain artificiel !» dit-il à l’homme qui était assis en face de lui. « Je me mets dans un état d’excitation pour écrire un brûlot, je m’auto-déprime pour pondre une fable dépressive sur la dérive de la société, je me défonce au cocaïne-Red Bull-vodka pour faire du surréalisme, mais quand je suis dans un état normal, je suis incapable d’écrire quelque chose qui ne soit pas d’un profond inintérêt.
— Arrête de te plaindre, lui répondit l’homme. Certains ont beau prendre toutes les substances imaginables, ils persistent à écrire des bouses. Et en plus, en général, ils en sont très fiers.
— Sauf que je me sens comme un être faux. Je suis un faux dépressif. Même Houellebecq, qui est sacrément fourbe, est sincèrement dépressif. »
Ils continuèrent leur discussion un temps, ne se rendant pas compte que le barman les regardait avec insistance et intérêt.
C’était l’épisode 1, à suivre…
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