En quelques jours, l’actualité politique et économique nous a fourni quelques informations complémentaires sur le front du chômage : la remise en cause (encore) des 35 heures, pourtant déjà largement assouplies, le tassement des gains de productivité depuis quelques années en Europe, des chiffres du chômage toujours plus mauvais.
Ces trois notions – chômage, temps de travail, productivité – ne peuvent être comprises qu’ensemble. Aujourd’hui, le consensus libéral qui s’installe dans la classe politique française veut que l’augmentation de la durée légale du travail est une mesure de « bon sens » pour redonner de l’emploi. Le problème est que les modalités précises de cette hausse du temps de travail ne sont jamais précisées.
Une demande répétée du patronat
Le Medef le répète à l’envi : il faut supprimer les 35 heures, ou du moins les assouplir. Lorsque des sondeurs posent la question aux Français, ceux-ci répondent qu’évidemment un assouplissement est une bonne chose. Mais personne ne va jamais expliquer ce qui se cache derrière cela. En effet, la rhétorique libérale ne fonctionne que si la hausse du temps de travail permet de baisser le coût horaire : en d’autres termes, augmenter le temps de travail n’a de sens que si les salariés ne sont pas payés plus. Pas sûr que les résultats du sondage seraient identiques à la suite d’une telle précision.
Augmenter le temps de travail : une logique de rentabilité, pas d’emploi
En réalité, le seul intérêt réel d’une hausse du temps de travail est d’améliorer la rentabilité des entreprises en diminuant le « coût » du travail. Dans la logique suivie, ceci permettrait aux entreprises d’améliorer leurs marges, leurs bénéfices, et donc, à terme, d’embaucher. Cette logique est largement contestable, étant donné que le coût du travail ne changerait pas beaucoup, comparativement à nos voisins, pour des sacrifices énormes. À court terme, une suppression des 35 heures serait forcément génératrice de chômage, puisque cela reviendrait à nécessiter moins de personnel pour faire la même chose.
Pacte de responsabilité : une baisse du coût du travail de 4 % ne fait guère de différence http://t.co/6tOTOh8TwB pic.twitter.com/7HHhcxoEth
— Alter éco (@Alternativeseco) February 14, 2014
Le chômage : résultat d’une implacable équation
La quantité de travail disponible (T) dépend de la quantité à produire (q), de la productivité des salariés (q) et du temps de travail des salariés (t) et peut se résumer à l’équation suivante : T = q / (p × t). Plus (p) est élevé, plus les salariés produisent en un temps donné, plus la quantité de travail disponible est faible. De même, plus les salariés travaillent longtemps (t), moins la quantité de travail disponible est importante. Par contre, plus la quantité à produire est importante (q), plus la quantité de travail disponible est importante.
Pour que le chômage soit nul, il faut que la quantité de travail disponible (T) soit supérieure ou égale à l’offre de travail globale (O), c’est-à-dire à la population en recherche d’un emploi. Il faut donc que O < q / (p × t).
Une croissance « normale » de 1%
La variable (q) est directement mesurable par la croissance économique. Celle-ci suit une courbe descendante assez régulière depuis les années 60 pour plafonner à 1% par an depuis le début des années 2000. Or, dans l’esprit de beaucoup de nos dirigeants, une croissance normale et raisonnable est de 2,5%. Dans cette optique, toutes les politiques économiques basées sur cet objectif sont vouées à l’échec. C’est pourtant là-dessus que repose tout le socle de la politique de François Hollande depuis son élection. Pour résumer, (q), la seule variable qui peut faire monter la quantité de travail disponible (T) ne progresse plus, alors que toutes les politiques mises en œuvre parient sur sa progression pour fonctionner.
La variable productivité (p), elle, est difficilement maîtrisable. De par les progrès technologiques et scientifiques, elle a naturellement tendance à progresser. La voir diminuer serait très inquiétant sur notre civilisation. Même si elle ne progresse plus aussi vite qu’avant, elle progresse quand même à un rythme soutenu, ce qui a tendance à faire naturellement diminuer (T).
Le temps de travail : seule variable contrôlable directement
Il reste donc, comme marge de manœuvre pour nos gouvernants, la petite variable (t) : celle du temps de travail. Comme le réclament de nombreux économistes, il suffirait de diminuer le temps de travail de la population pour augmenter (T), et donc faire baisser le chômage. Certains, notamment au Royaume-Uni, réclament même un passage à la semaine de quatre jours.
Il est vrai que dans l’histoire, la baisse du temps de travail est une tendance lourde qui a été constante depuis la période pré-révolution industrielle. Auparavant, la majeure partie de la population était obligée de travailler sept jours sur sept, de l’aube au crépuscule, pour produire de quoi se nourrir et survivre. Les progrès sociaux et techniques ont permis, progressivement, de donner de la place aux loisirs, à l’oisiveté. Le temps de travail a diminué durant tout le 20e siècle, mais il a aujourd’hui tendance à stagner, voire à progresser sous la pression des libéraux et du patronat.
Le modèle allemand : une baisse du temps de travail
Alors que le débat en France porte sur la hausse du temps de travail, l’Allemagne a réussi à réduire son chômage en diminuant le temps de travail effectif de ses salariés : ils travaillent aujourd’hui beaucoup moins qu’en France.
#rigolo de @CarrementBrunet Temps de travail hebdomadaire effectif des salariés en Allemagne et en France pic.twitter.com/wDkk5mI9O5
— ob (@ob_se) May 2, 2014
Pour diminuer le temps de travail, il y a deux possibilités : la première revient à demander aux salariés de travailler moins en maintenant leur salaire (les gains de productivité sont donc récupérés par les salariés) ; la seconde revient à les faire travailler moins en diminuant proportionnellement leur salaire (via la hausse des temps partiels, qui revient à céder les gains de productivité à l’employeur). Traditionnellement, les baisses du temps de travail se sont réalisées via les luttes sociales, et donc selon la première manière. La reprise en main de l’économie par les néolibéraux a permis aux employeurs de récupérer les gains de productivité. Cela dit, l’effet immédiat sur le chômage est le même. Sur le long terme, soit on privilégie la demande (donc les salaires), soit on privilégie l’offre (donc les bénéfices des entreprises).
Un chômage pas prêt de diminuer
On le voit donc : avec (q) qui n’augmente plus, (p) qui augmente et les pressions pour voir (t) augmenter, il est évident que (T) va, au mieux, se stabiliser à l’avenir.
Le souci, c’est que (O), l’offre de travail disponible, a tendance à augmenter naturellement, du fait de la démographie et de l’augmentation de l’âge de départ à la retraite. Plus on a de monde sur le marché du travail, plus (O) est élevé. En clair : tous les indicateurs vont dans le sens d’une dégradation du rapport (T)/(O), et donc d’un chômage toujours plus élevé.
La totale improvisation du Gouvernement en matière de chômage transparaît jusque dans sa rhétorique : les mauvais résultats sont soit expliqués par la fraude des chômeurs (pourtant ultra-minoritaire : il n’y a pas 5 millions de fainéants qui refusent de travailler en France), soit par l’attente d’effets de la politique gouvernementale (qui est en place depuis quand même deux ans !).
Je demande à @pole_emploi de renforcer les contrôles pour être sûr que les gens cherchent bien un emploi @itele
— François Rebsamen (@frebsamen) September 2, 2014
Le désespoir est si grand que certains misent même sur une hypothétique nouvelle révolution industrielle basée sur les nanotechnologies. Espérons que nos gouvernants et les citoyens ouvrent les yeux rapidement et regardent d’un œil plus favorable les appels à une baisse du temps de travail, seule manière efficace et immédiate de réduire le chômage (avec le revenu universel).
2 Responses to “La baisse du temps de travail, seule solution immédiate au chômage”
3 septembre 2014
MagicLe problème du partage du travail, c’est qu’il ne fonctionne qu’en théorie.
En théorie, si on réduit le temps de travail, il faut 5 salariés au lieu de 4 pour faire le travail… mais en réalité, cela suppose :
1/ Que 4 salariés au moins fassent exactement le même boulot dans la structure. Cela ne marcherait donc que pour une minorité de salariés/services/entreprises.
2/ Que ces mêmes salariés soient interchangeables. Même compétences, même responsabilités… c’est encore plus rare.
3/ Que ces mêmes salariés acceptent de perdre 20% de leur salaire… je suis impatient de voir ça.
Enfin, je dirai que ces visions ultra-macro de l’emploi et des salariés expliquent mal le chômage. La problématique principale de l’emploi me semble être la fuite de l’emploi industriel. Comment un ouvrier français peut-il récupérer (ne pas perdre) son emploi face à un ouvrier chinois ? Le partage du travail n’apporte aucune solution.
On fait comme si l’emploi industriel était un combat perdu. On paye les mecs pour qu’ils restent chez eux, espérant que les autres secteurs de l’économie absorberont ces travailleurs souvent sans qualification… Ca fait 40 ans que ça dure.
Tant que l’on continuera à financer la santé et la retraite en taxant le travail, notre pays continuera à perdre des emplois.
6 septembre 2014
Custin d'AstréePour répondre à vos remarques :
1) Si 4 salariés font le boulot de 5, alors on obtient des gains de productivité : vous avez raison de le souligner. La baisse de (t), pour reprendre mon équation, va, en partie, renforcer (p). C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en partie pour les 35 heures : la productivité horaire des travailleurs français a fait un bond, parce que beaucoup d’entreprises en ont profité pour faire travailler plus leurs salariés en moins de temps. Mais pas totalement, et votre affirmation que cela concerne « une minorité » d’entreprises reste à démontrer.
2) Concernant l’interchangeabilité, c’est une hypothèse majeure de toutes les théories libérales sur le travail, mais bizarrement ça ne gène que quand on parle de baisser le temps de travail. Cela dit, vous avez raison, il y a des cas où la mutualisation des horaires de travail est plus difficile, notamment pour les petites entreprises. Cela dit, la baisse du temps de travail peut être annualisée, comme avec les RTT, ce qui diminue fortement les incompatibilités de services. Votre exemple, très contraignant, n’est qu’un exemple. Sur la masse, les effets sont lissés. Mais pour reprendre votre exemple, on peut très bien imaginer une entreprise qui a un contrôleur de gestion, et un seul. Que se passera-t-il s’il travaille 4 jours au lieu de 5 ? Eh bien, la société réduira sa masse salariale d’un cinquième, qui pourra être utilisée pour prendre un intérimaire pour compléter le temps, ou pour renforcer un autre service, pour utiliser un personnel de la compta qui voudra évoluer vers du contrôle de gestion, etc. Les possibilités sont multiples, et il ne faut pas abandonner une idée parce qu’il existe des cas de figure où ça sera compliqué.
3) Ce qui s’est passé en Allemagne, c’est que le marché de l’emploi à temps partiel a été totalement libéré. Et bien, croyez-moi ou non, mais le temps de travail effectif a chuté. Cela signifie que des gens ont préféré voir leur salaire baisser et leur temps libre augmenter. Ce n’est peut-être pas dans notre culture, mais ça peut y entrer. Et la baisse du temps de travail de X% ne signifie pas nécessairement baisse du salaire de X%. Pour les 35h, des baisses de charges ont pu être octroyées pour mutualiser la note, par exemple.